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L’« upcycling » donne une seconde vie aux vêtements.

Photo du rédacteur: defilecode teamdefilecode team

Une robe fabriquée à partir de foulards chinés, un bomber créé de chutes de tissu d’atelier, faire du neuf avec du vieux « upcyclé » n’a jamais été aussi tendance. Une démarche écoresponsable stimulante pour les créateurs.


Robe Kandide des Récupérables, collection automne-hiver 2018-2019. LUCIE SASSIAT

En 2018, la marotte des marques de mode, c’est de se présenter comme « éthiques », « durables », « alternatives », « green », « solidaires », et tiens, pourquoi pas « vegan ». Ces mots vagues désignent au mieux des intentions louables, au pire des initiatives creuses destinées à redorer le blason des griffes. Ils laissent dans tous les cas beaucoup de questions en suspens : mais qu’est-ce donc qu’un « style écoresponsable » et que sont des « chaussettes championnes de l’économie circulaire » ?

Dans ce jargon écologique, il est un mot plus intéressant que les autres : l’« upcycling », dont il n’existe pas tellement de traduction en français (littéralement, « surcyclage »). Le terme désigne l’action de récupérer des tissus ou des vêtements déjà existants, dont on n’a plus l’usage. L’idée est de les valoriser, en produisant au final des habits dont la qualité est supérieure à leur état d’origine. Initiative concrète adoptée par des créateurs talentueux qui en ont fait la philosophie de leur marque, l’upcycling est en plein boom.

Sa meilleure ambassadrice est sans nul doute Marine Serre, 26 ans, lauréate du prix LVMH en 2017, qui s’est fait cette année une véritable place dans le cénacle de la fashion week parisienne avec la griffe qui porte son nom. Sa première collection qui a défilé en février comportait 30 % de pièces upcyclées ; la seconde, présentée six mois plus tard, 45 %. A chaque fois, les silhouettes les plus remarquables, d’élégantes robes colorées fabriquées à partir de foulards chinés, étaient 100 % upcyclées.


« Créer sa propre marque, ce n’est pas seulement savoir draper un vêtement, explique la Corrézienne. Il faut être bon à tous les niveaux, adopter une attitude qui permettra de faire ce métier toute sa vie sans se lasser. Il y a beaucoup trop de vêtements dont on ne sait pas quoi faire, et personne n’a envie de produire moins. La solution que j’ai trouvée, c’est de travailler à partir de matières déjà existantes. »


Autre génération, même constat. Lorsque Ronald van der Kemp, 54 ans et une longue expérience dans le luxe (il a travaillé pour Courrèges, Bill Blass, Guy Laroche, Céline…) lance sa maison de haute couture en 2014, il décide de n’utiliser que des matériaux issus de surproduction ou chinés, tels des rouleaux de mousseline des années 1970, des vieux cuirs de python ou des boutons d’une autre époque. Ainsi, chaque création devient unique, à l’instar de sa pièce phare, un jean flare délavé dont la partie inférieure est taillée dans un drapeau américain dont les rayures allongent la gambette. Les motivations du Néerlandais ne sont pas qu’écologiques : « Quand tu pars de rien, tu tâtonnes, tu dois faire plein d’essais qui te forcent à produire plus. L’upcycling t’oblige à travailler avec ce que tu trouves, et ces limites nourrissent la créativité. »


« L’essence du luxe »

Upcycler n’est pas une mince affaire : il faut dénicher le bon tissu, en bon état, le nettoyer. Lors de l’upcycling de vêtement, l’opération est encore plus complexe. Marine Serre réalise par exemple une veste à partir d’anciens jeans. Après chinage et nettoyage des pantalons, elle les défait et les réassemble pour fabriquer un rouleau de denim dans lequel elle taille un nouveau patron, recoud des poches et des boutons et imprime des surpiqûres. « La première fois qu’on s’est lancé dans cette veste, ça a pris une semaine entière pour la réaliser », explique la créatrice. Ce qui justifie son prix, environ 1 900 euros en boutique. « C’est cher, mais par rapport au travail que ça demande, on ne peut pas baisser le prix. J’espère qu’on y arrivera bientôt en s’organisant plus efficacement », admet Marine Serre.

L’autre contrainte, ce sont les (petites) quantités de tissus ou de vêtements avec lesquels les designers sont obligés de travailler. Certains en tirent parti. « Je fabrique beaucoup de pièces uniques, explique Ronald van der Kemp. Parfois je parviens à produire des petites séries à dix ou quinze exemplaires. C’est peu, mais c’est bien. L’essence du luxe, n’est-ce pas la rareté ? » « Le luxe, aujourd’hui, c’est prendre le temps de bichonner une pièce, de la rendre unique »,affirme Marine Serre. L’upcycling apparaît comme une réponse possible à la crise existentielle du luxe qui, à force de multiplier ses enseignes et de proposer les mêmes produits aux quatre coins du monde, a fini par perdre un peu de l’exclusivité et de la rareté qui le caractérisaient jusque-là.



Patron Ronald van der Kemp réalisé à partir de drapeaux américains. RONALD VAN DER KEMP

Heureusement, l’upcycling ne se cantonne pas à la haute couture et il existe des marques plus abordables comme Les Récupérables, fondée en 2016 par Anaïs Dautais Warmel. Elle chine du linge de maison vintage, des fins de rouleaux de marques de luxe, des chutes de tissu d’ateliers de production et se fournit aussi chez TDV, un fabricant de vêtements de travail dont elle récupère les tissus non conformes. Les Récupérables ne propose qu’une dizaine de modèles, déclinés dans différents matériaux. Qu’il s’agisse de la veste bomber à 240 euros ou de la jupe midi boutonnée à 90 euros, les coupes sont soignées, les détails charmants. « On a un vrai parti pris mode. On veut séduire avec l’esthétique de la pièce, puis donner l’info que c’est upcyclé. On communique de manière presque désinvolte sur le sujet »,affirme Anaïs Dautais Warmel.


Quel que soit le niveau de sophistication de leur griffe, les designers adeptes de l’upcycling refusent tous que la dimension écologique de leur démarche prenne le pas sur l’esthétique. Même si le terme « mode éthique » est en train de redorer son blason, il a longtemps été synonyme de vêtements moches et pas sexy. « Certains clients ne sont même pas conscients que les vêtements sont upcyclés »,témoigne Ronald van der Kemp (et pourtant, à 2 800 euros la robe, on peut supposer que l’acquéreur veuille tout savoir du produit qu’il achète).

Chez les pionniers de l’upcycling, le discours green n’avait d’ailleurs pas non plus sa place. Dans les années 1990 et 2000, Martin Margiela transformait le cuir d’un canapé en veste, mais le créateur belge ne prenait jamais la parole, et son geste a toujours été perçu comme artistique plus que militant. L’autre figure de proue de l’upcycling, c’est Maroussia Rebecq, qui a fondé le label Andrea Crews en 2002. « A l’époque, mon intention était plus politique qu’écolo, c’était une réflexion sur la manière dont les magazines, la publicité et la société nous imposent de nous habiller », se souvient-elle. Bonne joueuse, la créatrice parisienne s’amuse qu’on « trouve [son] travail génial aujourd’hui alors que ça fait vingt ans [qu’elle fait] la même chose ».


Ronald van der Kemp aimerait bien travailler à grande échelle avec une marque de sportswear comme Nike ; Anaïs Dautais Warmel pourrait se mettre à upcycler des vêtements plutôt que des tissus« si une marque comme Sessun [lui] proposait un stock de 400 pièces neuves à la même taille ». Mais malgré l’enthousiasme général pour l’upcycling, les grandes marques ont du mal à sauter le pas, du moins officiellement – hormis la Redoute, qui a lancé en février un programme de mentoring (avec l’école Esmod Roubaix) pour proposer à des jeunes d’exprimer leur créativité sur des tee-shirts et sweats invendus.


La souplesse des jeunes griffes

« Les quelques marques qui me proposent d’upcycler leurs stocks souhaitent rester anonymes, raconte Anaïs Dautais Warmel. Elles ont peur qu’en citant leur nom, on s’approprie leur ADN. Et surtout, si elles commencent à communiquer sur leur engagement éthique, elles craignent un retour de bâton de la part du consommateur qui leur demanderait plus de transparence sur leur chaîne de production et pourrait les accuser de ne pas être parfaites. » Toutes les marques de mode savent qu’il faut être écolo, mais les multinationales n’ont pas la souplesse des start-up ou des jeunes griffes qui se sont construites sur une éthique irréprochable comme Veja ou Patagonia.



Marine Serre, printemps-été 2019. CATWALK PICTURES

« Pour l’instant, l’upcycling concerne de petits volumes, constate Julie Marcel, consultante à l’agence Utopies, spécialisée dans le développement durable. C’est une piste intéressante, mais il faut repenser tout le processus de production et d’usage des vêtements : viser zéro chutes [aujourd’hui 15 % est jeté lors de la découpe], fabriquer des habits de meilleure qualité, qui puissent être réparés lorsqu’ils sont abîmés, et recyclés seulement lorsqu’ils ne sont plus utilisables. » « Et apprendre aux étudiants en mode à ne pas produire de nouveaux tissus, mais à utiliser ceux qui existent déjà », complète Stéphanie Calvino, membre du collectif Anti_Fashion Project qui pointe du doigt les dérives du secteur.

L’upcycling n’est peut-être pas prêt à se développer à grande échelle, mais ceux qui y ont déjà recours brillent par leur exemplarité. Pour la confection, la marque Les Récupérables fait appel à des ateliers qui emploient des personnes en insertion professionnelle à Calais et Marseille. De son côté, Marine Serre va délocaliser à Paris sa production de pièces upcyclées – aujourd’hui en partie réalisée en Italie – pour limiter l’empreinte carbone des vêtements et créer de l’emploi dans la capitale. En attendant que les multinationales se réveillent, on peut compter sur la jeune garde.




Source: Par Elvire von Bardeleben Le Monde

 
 
 

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